Pour ce concert inédit, la salle communale avait pris un petit air théâtral. Sur une estrade en bois montée pour l’occasion, devant un immense rideau en velours rouge tendu entre deux piliers, la chorale, souriante, se mettait en place. Le public, impatient, était installé sur des chaises alignées au cordeau et la salle était déjà pleine. On entendait quelques claquements de chaussures, quelques grincements de fauteuils et froissements de vêtements mais quand le chef de chœur leva le bras, tout se figea et le silence se fit.
Chaque choriste très concentré commença alors à remuer les lèvres, dans une même chorégraphie millimétrée. Pourtant, aucun son ne sortait de leurs bouches… Mais avec un réel enthousiasme et même parfois un peu d’emphase, ils suivaient consciencieusement la partition et le rythme que leur imposait leur meneur. Ils y mettaient toute leur âme, s’imaginant peut-être dans la peau d’une Maria Callas, d’un Luciano Pavarotti ou même sans avoir besoin de l’avouer d’une Céline Dion. Ils étaient les seuls à s’entendre.
Les membres du public, bouche bée, regardaient le spectacle de cet ensemble silencieux avec fascination. Happés par la passion de ces chanteurs muets, ils se remémoraient la musique qu’ils ne pouvaient plus entendre… Peu importait le morceau interprété, eux, y percevait un opéra de Verdi, de Mozart, ou se replongeaient dans leurs propres souvenirs de chorales folkloriques ou sacrées. A la fin, les chanteurs muets entendirent les applaudissements nourris de ce public sourd qui avait vibré avec eux, réunis par le silence d’une musique imaginaire.